Livre

A travers... La Paléontologie

L'Extraordinaire aventure de GILKY



Mais la Terre sortit du ruissellement d’or et Gilky se dirigea une fois de plus vers son aphélie, maugréant encore des choses peu flatteuses sur l’ingratitude des Hommes.

Comment aurait-elle pu se douter, elle qui croyait connaître les lois supérieures qui la gouvernaient, de l’inquiétude des hommes qui redoutaient une rencontre avec l’astre chevelu, qui s’épouvantaient de leur fin prochaine, tandis que des savants impassibles profitaient de sa dangereuse proximité pour effectuer une ultime et inutile observation au télescope ?

Elle ignorait qu’elle devait mathématiquement heurter la Terre et que le choc ne fut évité que grâce à une perturbation survenue « in entremis » qui modifia sa soute si légèrement qu’elle ne s’en aperçut pas, toute à son observation.

Oui, si elle l’avait su, quel aurait été son orgueil ! Mais c’est avec un tout autre état d’esprit qu’elle cheminait vers son but invisible.

Avec l’éloignement cependant, son ressentiment diminua et quelques siècles plus tard, alors qu’elle revenait vers la Terre, elle avait excusé les Hommes. Après tout, ils ne lui avaient pas fait de mal. Peut-être était-ce par impuissance, mais peu importe, elle ne voulait pas leur prêter d’aussi noirs dessins et elle était prête à les examiner, dès qu’elle serait à leur portée, avec toute son ancienne et intacte bienveillance.


CHAPITRE VII


Elle s’était pourtant bien promise, à son dernier voyage, de ne plus se laisser aller à formuler des pronostics. Elle avait oublié cette sage attitude et était décidée à revoir les Hommes sans trace de ressentiment. Et, une fois de plus, ses espoirs furent trompés.

C’est qu’en effet, les hommes avaient presque entièrement disparu de la surface du globe. Celui-ci présentait maintenant un triste aspect.

Gilky ne se dissimula pas la vérité : cette boule qu’elle avait prise en amitié depuis le temps qu’elle l’observait, cette boule qu’elle avait presque vu naitre, cette boule qui lui avait toujours semblé pleine de vie et de puissance créatrice, cette boule était en train de mourir.

Peu de temps après Mars - l’espace de deux voyages - il était donné à Gilky de voir agoniser une autre planète. La terre avait perdu presque toute sa chaleur propre, elle n’était plus réchauffée que par le Soleil, aussi les glaciers s’étaient-ils étendus et une grande différence de température existait maintenant entre le jour et la nuit, car dès que le soleil disparaissait, un froid très vif recouvrait tout, en même temps que les ténèbres. Le niveau des océans avait considérablement baissé ; l’humidité était très faible et les nuages avaient presque disparu du ciel terrestre, laissant passer les rayons solaires dans toute leur intensité, ce qui accentuait encore la différence des températures diurnes et nocturnes.

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À ce régime extrêmement dur, peu de plantes avaient résisté, et Gilky se rappelait avec tristesse le temps où la végétation luxuriante cachait tant de drames ignorés de plantes s’étouffant les unes les autres …

Quelques tribus d’hommes s’étaient réfugiés dans les lieux où subsistaient quelques Plantes qui avaient attiré également les animaux en voie de disparition. Par suite de la raréfaction des Plantes qui ne consistaient plus guère qu’en chétifs lichens, les herbivores avaient presque disparu ; les carnassiers étaient obligés de chercher longtemps leurs proies et souvent se dévoraient entre eux ; les hommes tuaient ce qui en restait. Ainsi ce qui subsistait encore se détruisait lui-même.

Gilky, horrifiée, vit d’atroces scènes. C’était la lutte pour la vie et les tribus d’hommes essayaient de se détruire les uns les autres, pour durer plus longtemps.

La petite comète trouva cependant beaucoup de grandeur à cette lutte désespérée. Quelle différence avec cette guerre sans raison qu’elle avait vue à son dernier voyage. Maintenant les hommes luttaient pour conserver leur nourriture, leur bien, ils se battaient avec les moyens de leurs ancêtres et non plus de leurs pères, ils étaient retournés à l’état sauvage.


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*   *


Ce spectacle lamentable de l’agonie de l’humanité avait détourné Gilky, pour la première fois, de la règle qu’elle suivait jusque-là : examiner d’abord la mer, souvenir des temps où la mer recouvrait tout, où la terre ferme était l’exception.

Elle se tourna donc vers ce qui restait des vastes océans.

Là encore elle vit un monde à l’agonie. L’eau ayant diminué, ce qui en restait contenait une trop forte concentration de sels dissous ; les Poissons n’avaient pu résister. Mais la petite Gilky comète aperçut, avec une stupéfaction indicible… des Nautiles !

Ainsi, se dit-elle, les premiers habitants de la Terre seront donc les derniers. Quelle leçon grandiose ! Ils n’ont pas changé depuis l’époque primaire ; ils voguent toujours dans leurs coquilles renversées, comme aux premiers âges ; ils ont traversé toute l’histoire de la Terre sans modification ; ils n’ont rien appris et ils n’ont rien oublié …
Les monstres des temps secondaires ont disparu; les énormes Mammouths, Mastodontes, Éléphants, sont morts.

Les hommes vont disparaître à leur tour après avoir redescendu toute l’échelle de l’intelligence ; les Nautiles, faibles petites coquilles roulées par les flots, balancées par le vent, méprisées par tous les rois éphémères de la création, voient avec impassibilité les âges s’écouler, les monstres passer, les races s’éteindre …