C’est
à tout cela que songeait Gilky en
prenant une fois encore le chemin, non tracé, mais
parfaitement déterminé, du
retour. C’est à peine si elle remarqua la
présence de la Lune escortant
inlassablement notre globe dans sa ronde perpétuelle.
C’est à peine aussi si
elle s’aperçut que la
végétation qu’elle se souvenait
confusément y avoir vu,
avait disparu. Un monde même aussi petit que la terre
suffisait amplement à sa
curiosité. Et Gilky pensait que la taille ne fait rien
à l’affaire : la
Terre l’avait bien montré. Qui eût
jamais pensé qu’une si petite boule puisse
produire des êtres aussi variés ?
Chapitre
VI
À son
sixième voyage, Gilky devait passer
très près de la Terre qui devait même
traverser sa chevelure. Par contre, la
proximité de la planète serait de très
courte durée, aussi Gilky ouvrit-elle
tout grands ses yeux curieux dès qu’elle la vit.
Cette fois,
elle avait décidé de ne faire
aucun pronostic. Trop de fois – chaque fois, pour
être exact – ses attentes
avaient été trompées.
Lorsqu’elle cherchait à revoir un être
qui l’ait
intéressé, il avait disparu ; quand elle
avait admis cette inconstance de
la Terre, il n’y avait eu que peu de changement.
Quand elle
fut suffisamment rapprochée,
Gilky s’écria :
« Rien
que des hommes ! Ils ont
tout envahi ! Vraiment, la Terre ne fait rien à
moitié : rien que des
Ammonites, rien que des Reptiles, rien que des Mammifères et
maintenant rien
que des hommes … »
Si les hommes
n’avaient pas tout envahi,
il faut avouer qu’ils se répandaient sur une bonne
partie des continents.
Même
devant ce spectacle étrange, Gilky
conserva sa méthode favorite : examiner
d’abord la mer, puis les airs et
la terre.
*
* *
Dans la mer,
elle vit d’abord des poissons.
Mais il y en avait trop pour qu’elle puisse les observer
tous. D’ailleurs, ils
ne semblaient pas avoir évolué depuis
qu’ils avaient perdu leur carapace osseuse
et l’avaient remplacée par des écailles
métamorphose qui eut lieu, vous vous en
souvenez certainement, à la fin de
l’époque primaire. Comme ce temps paraissait
lointain ! Gilky crut cependant le retrouver en apercevant des
Marsouins
qui, dans leurs jeux folâtres, lui rappelèrent les
Zenglodons.
Mais ce qui
causa une grande surprise à
notre petite curieuse, c’est la présence de
Nautiles.
|
32
Vous vous
souvenez que Gilky avait
remarqué, dès le début de
l’apparition de la vie sur la terre, ces coquilles
spiralées.
Elle les avait retrouvées au secondaire, puis au
tertiaire ; elle en avait
noté la présence au quaternaire, à son
dernier voyage, et voilà qu’elle les
retrouvait, intacts, toujours vivants et sans aucun changement, tels
qu’ils
étaient au début de l’ère
primaire …
Tout
à coup, une coquille d’une forme
étrange, d’une taille gigantesque, attira son
attention. Elle regarda avec
curiosité, et quel ne fut pas son étonnement en
apercevant, dans cette coquille
… des hommes !
« Ainsi,
se dit-elle, ainsi « ils »
sont partout. Les reptiles aussi étaient partout: dans
l’eau, sur terre
et dans les airs. Au fait, cela ne m’étonnerait
qu’à moitié d'en observer en
l'air. »
Et Gilky
laissa les hôtes de la mer pour
regarder plus haut, ou plutôt moins bas,
puisqu’elle dominait ce qui lui
servait en quelque sorte de théâtre;
théâtre fantastique, qui ne lui
donnait jamais deux fois la même représentation.
*
* *
Elle ne fit
pas attention aux oiseaux qui
sillonnaient le ciel ; elle avait vu depuis longtemps voler
des oiseaux et
cela ne l’étonnait plus. Ce
n’était pas un oiseau qu’elle cherchait,
mais –
comme l’avait fait quelques siècles auparavant un
philosophe né et mort alors
qu’elle était à son aphélie
– elle cherchait un homme …
Plus heureuse
que Diogène, elle en trouva
presque immédiatement.
« C’est
vraiment curieux,
monologuait-elle, c’est l’exemple du
Glyptodon– caverne qui continue :
ils savent se servir des bêtes puisqu’ils ont
apprivoisé les grands oiseaux qui
volent pour eux. Mais comme c’est bizarre, leurs ailes ne
battent
pas ! »
Elle en
suivit un des yeux. Il se posa
bientôt et cela ramena son attention sur la Terre.
*
* *
Alors Gilky
fut sur le point de perdre la
tête en voyant tant d’hommes !
Quel malheur qu’elle ne puisse rester longtemps pour les
étudier en
détail ! elle nota hâtivement que, comme
lors de leur apparition, les hommes avaient des pelages
différents ; leur figure aussi
pouvait changer de teinte :
elle en vit des rouges, des roses, des jaunes, et même des
noires ! Ils ne vivaient plus dans des cavernes, ni
dans des
cités lacustres, mais dans des sortes de coquilles en
hauteur.
|