Celui qui
marchait devant était fort et
trapu, sa tête était grosse et il la portait
rejetée en arrière comme pour
défier le monde qui l’écrasait, les
animaux qu’il sentait autour de lui, le
soleil qui l’aveuglait, la nuit qui allait
l’envelopper…
L’autre
était plus élancé, plus
frêle, son
poil petit plus rare, sauf sur sa tête où ils
dépassaient en longueur ceux de
son compagnon.
Gilky
trembla,
car les deux êtres se dirigeaient
vers un Glyptodon monstrueux qui semblait les guetter, aplati sur le
sol. Se
pouvait-il qu’ils ne l’eussent pas
aperçu ? Ils s’approchèrent
cependant
sans crainte et Gilky vit que ce n’était
qu’une carapace de Glyptodon, l’animal
était mort depuis longtemps.
Le plus
frêle des deux êtres se glissa
dans l’ouverture qui laissait autrefois passer la
tête du Glyptodon, tandis que
l’autre montait sur l’énorme carapace
deux fois plus haute que lui, regardait
fièrement autour de lui, levait le bras en un dernier geste
de défi et se
glissa à son tour par l’ouverture…
Presque
aussitôt, la nuit submergea tout,
mais Gilky avait eu le temps d’apercevoir, au bout du bras
tendu de l’homme, un
gros bâton.
C’était
en effet une caractéristique de
ces hommes qui avait beaucoup frappé la petite
comète : ils tenaient tous
quelque chose dans leurs mains. Mais le plus curieux,
c’était qu’ils
conservaient toujours le même objet. Certes, elle avait bien
vu quelques grands
singes se servir parfois d’une branche d’arbre, mais
quand cette dernière avait
rempli l’office auquel le singe la destinait en la
saisissant, il la rejetait,
pour en prendre une autre lorsque le besoin s’en faisait
sentir. L’homme, au
contraire, gardait sa branche, son javelot ou sa hache, même
quand il ne s’en
servait pas.
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30
Ce que le
singe n’y voyait qu’une
branche, entre tant
d’autres ; pour l’homme,
c’était sa branche, sa
massue. Le
sentiment de la propriété était
né avec l’homme. C’était une
première
particularité.
Une seconde
résidait dans le fait que l’homme
travaillait, façonnait ses armes. Gilky ne se doutait pas
que ces instruments
serviraient plus tard à diviser le règne des
premiers hommes en diverses
périodes. C’est ainsi
qu’après avoir utilisé les
matériaux qu’il trouvait tout
faits autour de lui : lourdes branches servant de massues,
pierres
coupantes ou servant de projectiles, l’homme avait
confectionné lui-même ses
armes, et cela, d’une façon de plus en plus
perfectionnée.
Après
avoir fait éclater des silex et
utilisé comme couteau ou hache les éclats qui lui
paraissaient le plus propre à
cet usage, l’homme polit la pierre en une forme
déterminée à l’avance.
C’est
l’âge de la pierre polie succédant
à celui de la pierre taillée. C’est
à cette
époque que la religion fait son apparition sous une forme
durable par le
truchement des dolmens et des menhirs. L’homme a
quitté les cavernes et se
construit des huttes, le plus souvent sur pilotis, au bord
d’un lac, pour éviter
les bêtes fauves. Plus tard, il découvre les
minerais et sait fabriquer des
instruments en bronze. C’est l’âge du
bronze. Gilky put apercevoir certains de
ces hommes qui tenaient des armes de bronze, dans les
contrées qui deviendront
la Chine et l’Égypte, alors que les autres
peuplades n’en étaient encore qu’au
stade de la pierre.
Si les lois
qui gouvernent l’univers
avaient conduit la petite comète à ne visiter la
Terre que quelque temps plus
tard, elle aurait pu constater qu’un autre métal
avait supplanté le bronze,
chez les hommes les plus évolués tout au
moins : Le fer.
Mais Gilky ne
pouvait le deviner.
D’ailleurs, ce qu’elle voyait
l’étonnait déjà
suffisamment. Elle était bien
obligée d’admettre que les hommes
étaient tout de même les créatures les
plus
intelligentes qu’elle eut vues
jusqu’à présent, malgré leur
petite taille. Elle
aurait mieux compris que les grands reptiles devinssent les
maîtres du
monde
terrestre, plutôt que cette espèce de singes qui
ne savait même pas exécuter
les gracieuses cabrioles de ses congénères.
Cependant, il
n’était pas niable que les
êtres qu’elle observait fussent
les plus intelligents. Elle sourit en pensant qu’elle avait
d’abord cru devoir
reconnaitre de l’intelligence à
l’antique Labyrinthodonte, parce qu’elle voyait en
lui, à
cette époque, le maître de la Terre et
qu’elle ne pouvait admettre un maître
stupide. Même le Cervus Megareos qu’elle
avait admiré tout à l’heure parce
qu’il savait se tenir à
l’écart des bois touffus où sa ramure
se serait prise,
ne supportait pas la comparaison avec les hommes, parce que ceux-ci,
faibles et
désarmés, avaient su trouver dans la nature des
matériaux qui, transformés par
lui, devenaient des armes redoutables et des instruments lui permettant
de
dominer le monde végétal, minéral et
animal.
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